Réforme fiscale à Genève – vers une imposition plus équitable pour les entrepreneurs ?

 

Nous sommes ravis de partager avec vous les détails d’une initiative législative importante à Genève : l’adoption par le Grand Conseil d’une loi visant à réduire la charge fiscale des entrepreneurs du canton.

Résumé :

  • La réforme, qui devrait en principe entrer en vigueur en janvier 2025, s’adresse spécifiquement aux entrepreneurs établis à Genève, détenant plus de 10% de participation dans une société où ils exercent principalement une activité salariée.
  • Le texte prévoit une réduction substantielle de l’impôt sur la fortune, articulée autour de deux paliers : une réduction de 80% sur les valeurs imposables jusqu’à 10 millions de francs suisses, et une réduction de 40% pour les valeurs dépassant ce montant.
  • Cette initiative législative entend soutenir l’entrepreneuriat local et rendre le canton plus attractif pour les investissements.

 

Contexte et problématique de la double imposition subie par les entrepreneurs :

Cette réforme fait écho à une problématique récurrente de double imposition rencontrée par les entrepreneurs, surtout marquée en Suisse romande où les taux d’imposition sont traditionnellement plus élevés qu’en Suisse alémanique.

En effet, les revenus et la fortune des entrepreneurs sont d’abord taxés au niveau de l’entreprise (impôt sur le bénéfice et le capital), puis lors de la distribution de dividendes, dans le cadre de leur imposition personnelle (après application d’un abattement dont le taux diffère selon les cantons).

Ceci, sans compter l’impôt sur le revenu payé sur le salaire que l’entrepreneur reçoit ; étant rappelé que l’Office fédéral des assurances sociales (« OFAS ») exige un salaire conforme au marché et considère tout dividende excédant de 10% la valeur fiscale de l’entreprise comme faisant partie du revenu déterminant.

La particularité suisse est qu’en sus de tous ces impôts, les entrepreneurs sont également redevables de l’impôt sur la fortune sur la valeur de la participation dans leur société, soit leur outil de travail (taux maximum de 1% à Genève). A notre connaissance, la Suisse est le seul pays de l’OCDE à taxer l’outil de travail (par exemple, la France l’a toujours exclu du champ de son impôt sur la fortune).

 

Méthode actuelle de l’évaluation de l’outil de travail et ses implications fiscales :

Pour rappel, la Loi Fédérale sur l’harmonisation des impôts directs (« LHID ») prévoit que la fortune doit être estimée à la valeur vénale, en prenant en compte, de façon appropriée, la valeur de rendement.

Pour les titres non cotés, la méthode d’évaluation est généralement basée sur la circulaire CSI n° 28, dite « méthode des praticiens », qui tient compte d’une part de la valeur des fonds propres, en y ajoutant la valeur de substance, et d’autre part, de la valeur de rendement ([2 x valeur de rendement + 1 x valeur de substance] /3). Dès lors que la société génère un bénéfice, cette méthode aboutit trop souvent à une valorisation excessive (et supérieure à la valeur comptable- voire vénale), en intégrant le chiffre d’affaires réalisé et les bénéfices futurs (réserves latentes).

Rappelons également que cette méthode des praticiens, si elle n’est pas une règle de droit, est largement appliquée par les autorités administratives et les tribunaux suisses, sauf si le contribuable est en mesure de rapporter une autre évaluation, selon une méthode appropriée.

L’estimation fiscale des titres non cotés impacte principalement les entrepreneurs et dirigeants de PME ou de start-up, dont la participation est généralement majoritaire et illiquide.

Cette évaluation, souvent disproportionnée, entraine une imposition sur une fortune dont ils ne disposent pas librement.

Dans les cas extrêmes, l’entrepreneur est contraint de puiser dans la trésorerie et se verser un salaire ou un dividende supplémentaire pour régler cet impôt, au lieu de l’investir pour le développement de l’entreprise.

Les actionnaires de grands groupes côtés en bourse ne sont pas concernés par la méthode des praticiens, dès lors que pour les sociétés cotées, il est tenu compte de la valeur réelle de l’action.

Par ailleurs, les participations minoritaires, dans lesquelles le contribuable n’exerce pas d’influence ni de contrôle, bénéficient déjà d’un abattement de 30%, selon la circulaire CSI.

 

Allègement de l’imposition sur l’outil de travail :

Pour remédier à cette situation, le Conseil d’Etat genevois a proposé en juin dernier une réforme pour une imposition plus juste des entrepreneurs. Elle prévoit une réduction significative de l’impôt sur la fortune pour les titres non cotés, dès lors que l’entrepreneur :

  • Est domicilié ou en séjour dans le canton de Genève (soit soumis à un assujettissement illimité dans le canton) ;
  • Détient au moins 10% (= participation qualifiée) des droits de participation dans une société non cotée.
  • Exerce une activité lucrative principale dans cette société OU dans une société dont il détient indirectement au moins 10% (par l’intermédiaire d’une société holding) – ce qui exclut les investisseurs passifs.

Le projet de loi n’impose pas que l’entreprise concernée ait son siège social en Suisse ou qu’elle soit effectivement gérée depuis la Suisse. L’abattement fiscal pourrait donc également bénéficier aux entrepreneurs détenant une participation dans une société étrangère, dès lors que les conditions susmentionnées sont remplies.

Sur la notion d’activité lucrative principale, le simple fait d’être administrateur n’est pas considéré comme une activité lucrative dépendante à titre principal.

 

Si ces conditions sont respectées, l’impôt sur la fortune est réduit :

  • de 80% pour les droits de participation évalués jusqu’à CHF 10’000’000 et
  • de 40% au-delà de CHF 10’000’000.

La part de l’impôt est déterminée au prorata de la valeur imposable de ces droits de participation par rapport à l’ensemble de la fortune brute imposable.

 

Comparaison avec la mesure d’allègement introduite dans le canton de Vaud :

En comparaison avec la mesure introduite en 2022 dans le canton de Vaud (Directive sur l’estimation des titres non cotés aux fins de l’impôt sur la fortune « RETIF »), les mesures genevoises sont plus avantageuses pour les raisons suivantes :

  • Les conditions d’application sont plus restrictives dans le canton de Vaud où l’entrepreneur doit notamment se prévaloir d’une majorité qualifiée (soit au minimum 50% des droits de vote de la société). En outre, une détention minimale de 10% du capital de la société est exigée mais en pratique, ce seuil dépend de la taille de l’entreprise (pour les micro-entreprises, le seuil de détention est en fait de 25%). L’entrepreneur doit exercer une fonction dirigeante dans l’entreprise pour laquelle il perçoit une rémunération conforme au marché étant entendu que le ratio minimum entre sa rémunération et le bénéfice de la société doit être de 70%. Enfin, le RETIF vise spécifiquement les sociétés dont le siège social se trouve en Suisse, ou à défaut, dont le centre névralgique et décisionnel d’une certaine importance se trouve en Suisse.
  • La réduction vaudoise se concrétise par une majoration du taux de capitalisation à 16% : cette méthode nous semble moins compréhensible que la méthode de l’abattement utilisée par le canton de Genève. La méthode genevoise a le mérite de ne pas toucher à la méthode de valorisation de la société selon la circulaire CSI.

La procédure pour bénéficier de l’abattement à Genève doit encore être précisée. Notons que dans le canton de Vaud, l’allègement de l’impôt sur la fortune selon le RETIF s’effectue uniquement sur demande, au moyen d’un formulaire ad hoc.

 

Notre avis sur la mesure :

Cette réforme est un pas en avant pour soutenir l’entrepreneuriat à Genève. Elle encourage l’investissement et la croissance des entreprises locales en allégeant la charge fiscale des entrepreneurs, rendant le canton plus compétitif vis-à-vis des autres cantons de la Suisse romande. De plus, cette mesure pourrait attirer des entrepreneurs étrangers, précédemment dissuadés par l’imposition sur la fortune de l’outil de travail.  Cette mesure était donc bienvenue à Genève, où l’impôt sur la fortune est parmi les plus élevés en Suisse.

 

Bien entendu, la portée de cette réforme dépendra de la situation de chacun. Aussi, notre équipe se tient à votre disposition pour évaluer l’impact concret sur votre situation.

7 février 2024 Auteurs : Sarah Meriguet,

Dernières actualités et publications