Suppression de la valeur locative en Suisse : avantages, inconvénients et conséquences pour les propriétaires

 

Introduction

Le mercredi 12 juin 2023, le Conseil National a adopté un tout nouveau système d’imposition du logement en remplacement de la valeur locative, qui pourrait être supprimée si la proposition est également validée par le Conseil des États.

Rappelons que la valeur locative est un élément central de la fiscalité immobilière en Suisse, encore utilisée aujourd’hui pour calculer la part imposable des propriétaires résidents. Elle représente la valeur théorique de location d’un bien immobilier, basée sur des critères tels que la taille, l’emplacement et les caractéristiques du bien.

Cette future refonte du système fiscal suscite déjà beaucoup d’intérêt et de débats parmi les contribuables, dont les trois points principaux sont :

  • Suppression de la valeur locative tant pour les logements principaux que pour les résidences secondaires
  • Limitation de la déductibilité des intérêts passifs, et
  • Suppression de la déduction des frais d’entretien.

Dans cette newsletter, nous vous présentons les aspects clés de la suppression de la valeur locative, en mettant en évidence les avantages, les inconvénients et ses conséquences fiscales.

 

1. Avantages de la suppression de la valeur locative

  • Diminution de la charge fiscale : la suppression de la valeur locative permet aux contribuables résidents de ne plus être imposés sur un revenu fictif provenant de leur propre résidence principale et secondaire, en plus de leurs autres revenus.
  • Réduction de l’endettement privé : l’endettement hypothécaire des ménages privés en Suisse est très élevé en comparaison internationale et a augmenté progressivement ces dernières années. Dans un souci de stabilité financière notamment en cas de hausse marquée des taux d’intérêt, combinée à une correction des prix sur le marché immobilier, l’OCDE et le FMI ont recommandé à plusieurs reprises à la Suisse de supprimer ces incitations et de limiter la déductibilité des intérêts hypothécaires.
  • Simplification administrative : cette mesure supprime la nécessité d’estimer la valeur locative du logement, simplifiant ainsi les procédures fiscales pour les contribuables et évitant des procédures d’estimation complexes basées sur de nombreux facteurs.
  • Amélioration de la situation financière de certains contribuables : cela concerne principalement les personnes ayant remboursé la majeure partie de leur dette hypothécaire et pour lesquelles la valeur locative ne peut plus être réduite par la déduction des intérêts.
  • Aucune conséquence pour les propriétaires qui mettent en location leur biens immobiliers et qui pourront toujours déduire les frais d’entretiens et les intérêts passifs.

 

2. Inconvénients potentiels de la suppression de la valeur locative

  • Impact sur l’économie de la construction : cette nouvelle mesure, qui inclut la suppression de la déduction des frais d’entretien, risque de décourager les propriétaires d’engager des travaux de rénovation déjà coûteux en raison de la hausse des prix des matériaux. Cela pourrait entraîner une détérioration de la maintenance des bâtiments et avoir un impact négatif sur l’industrie de la construction.
  • Frein à l’incitation des investissements visant à économiser de l’énergie : La proposition de pouvoir déduire les frais liés aux investissements visant à économiser de l’énergie a été rejetée. Cette décision pourrait entraver les incitations des propriétaires à entreprendre des mesures d’efficacité énergétique, limitant ainsi les investissements dans ce domaine crucial pour la transition vers une économie plus durable.
  • Nécessité de rembourser une part plus élevée de dette hypothécaire : si le niveau des taux d’intérêts hypothécaires continue d’augmenter, seuls les propriétaires fortunés pourront être tentés d’amortir davantage leur dette pour réduire le montant des intérêts passifs non déductibles.
  • La hausse des taux d’intérêt combinée à l’impossibilité de les déduire pourrait mettre certaines catégories de propriétaires en difficulté financière.

 

3. Conséquences fiscales pour les contribuables résidents

Presque toutes les déductions devraient en effet être supprimées suite à la suppression de la valeur locative.

Cette proposition qui inclut la suppression de la déduction des frais d’entretien pour les propriétaires, prévoit toutefois la limitation de la déductibilité des intérêts passifs à hauteur de 40%[1] du rendement de la fortune imposable. Une mesure certainement prise pour équilibrer la situation entre les locataires et les propriétaires.

Seuls les propriétaires capables de générer un rendement avec leur fortune mobilière pourraient maintenir la déduction générale des intérêts passifs à concurrence de 40% du rendement imposable de la fortune. Cette mesure favoriserait alors la catégorie des propriétaires fortunés capable de générer des revenus avec leur fortune mobilière.

Le Parti Socialiste (PS) a dénoncé un avantage fiscal accordé aux propriétaires au détriment des locataires qui « n’ont pas la possibilité de déduire leurs loyers ». Selon le PS, si la valeur locative est supprimée, une compensation équivalente et une renonciation totale aux déductions des intérêts passifs doivent être mises en place.

Les nouveaux propriétaires bénéficieront d’un traitement spécial, car ils pourront déduire les intérêts passifs jusqu’à CHF 10’000.- pour les couples et CHF 5’000.- pour les autres contribuables au cours de la première année, pour un logement destiné à un usage personnel. À partir de la deuxième année, le montant maximal de la déduction diminuera de 10% par an.

 

4. Prochaines étapes

À ce jour, seule la proposition a été approuvée par le Conseil National, mais elle doit encore recevoir l’approbation du Conseil des États. Une fois qu’un accord aura été trouvé entre la chambre haute et la chambre basse, la loi prévoit que la population se prononcera par référendum sur cette nouvelle loi. Il est à prévoir que la gauche s’y opposera. Cette procédure laisse encore plusieurs mois, au moins jusqu’en 2023 voire 2024 espérons-le, aux propriétaires souhaitant rénover leurs logements pour entamer leurs travaux de rénovation et envisager une restructuration de leur dette.

 

 

 

[1] La commission de l’économie et des redevances (CER) s’est à nouveau penchée sur cette question et a indiqué vouloir s’en tenir à la décision du Conseil des États et autoriser des déductions jusqu’à 70% du rendement imposable de la fortune. La commission a également chargé l’administration de procéder à des clarifications. Cet objet sera réinscrit à l’ordre du jour de la séance d’août 2023, avant d’être soumis au Conseil des États lors de la session d’automne.

8 août 2023 Auteurs : Antoine Pioger,

Dernières actualités et publications