Les parts de SCI françaises sont des valeurs mobilières en droit interne suisse imposables à l’impôt sur la fortune, tranche le Tribunal fédéral

Le TF a rendu une décision très attendue le 13 décembre 2022 (1), susceptible d’impacter les résidents fiscaux suisses propriétaires de biens immobiliers en France à travers des SCI.  En particulier, le TF a été amené à se positionner sur la qualification fiscale des parts sociales d’une société civile immobilière (SCI) de droit français, qui n’a pas d’équivalent en droit suisse, considérant que cette structure avait la personnalité juridique dans les deux pays.

En l’espèce, il s’agissait d’une contribuable domiciliée dans le canton de Vaud, qui détenait 99% des parts d’une SCI française, propriétaire de deux immeubles en France estimés à environ CHF 1 million. La SCI soumise à l’impôt sur le revenu (et non à l’impôt sur le bénéfice) en France, étant fiscalement transparente, la contribuable avait reporté dans sa déclaration fiscale suisse la valeur des parts sociales dans sa fortune immobilière étrangère, uniquement pour la détermination du taux d’imposition.

Lors de la taxation, l’Administration cantonale des impôts (ci-après « ACI ») avait procédé à une correction quant à la qualification de ces parts sociales. Considérant qu’il s’agissait de valeurs mobilières au sens du droit suisse, l’ACI les avait imposées au titre de la fortune mobilière. La contribuable a saisi le Tribunal cantonal vaudois en rappelant notamment les dispositions de la CDI CH-FR, laquelle prévoit qu’en matière d’impôt sur la fortune (2), les biens immobiliers définis comme tels par l’Etat de situation sont imposables dans l’Etat contractant où ils sont situés (soit ici la France).

Or, dans la mesure où la France, selon son droit interne considère les parts de SCI comme fiscalement transparentes, la Suisse doit s’y conformer. L’ACI a toutefois maintenu sa position en invoquant les dispositions de l’article 25 de la CDI CH-FR, lequel prévoit que les règles d’attribution susmentionnées s’appliquent à la condition que le contribuable soit en mesure de justifier de l’imposition de ses éléments de fortune. Dès lors que la valeur des immeubles détenus par la contribuable était inférieure au seuil minimum d’imposition fixé à EUR 1’300’000.- à l’IFI, le canton de Vaud retrouvait donc son droit d’imposer ces actifs au titre de la fortune mobilière, dans la mesure où ils n’étaient pas effectivement imposés en France.

Le Tribunal cantonal vaudois saisi du litige, après une analyse attentive de la CDI CH-FR, a statué en faveur de l’ACI (3). La contribuable a exercé un recours contre cette décision devant le TF, qui vient de confirmer le jugement de l’instance vaudoise.

Pour bien comprendre les enjeux de cette décision, il est utile de rappeler le traitement fiscal applicable aux sociétés immobilières dans chaque Etat.

En droit français

Une SCI de droit français est une forme de société civile dont le but est de gérer ou de mettre en location un patrimoine immobilier. Elle relève par défaut du régime de l’impôt sur le revenu et est fiscalement traitée en transparence. Bien que dotée de la personnalité morale et d’un patrimoine propre, le résultat de la société est fiscalement appréhendé par les associés, personnellement redevables de l’impôt (sauf si la société opte expressément pour un assujettissement à l’impôt sur les sociétés).

En outre, dès lors que la prise de participation au capital d’une SCI constitue une détention indirecte d’actif immobilier, les associés sont assujettis à l’IFI dans les mêmes conditions qu’un propriétaire immobilier en direct quel que soit le régime d’imposition de la SCI (impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés). Cependant, seuls les associés dont la valeur du patrimoine immobilier net est supérieure à EUR 1’300’000.- sont soumis à l’IFI.

En droit suisse

Les personnes qui sont fiscalement domiciliées en Suisse sont imposées sur l’ensemble de leurs revenus et fortune mondiaux (assujettissement illimité), à l’exclusion des biens immobiliers, établissements stables et entreprises situés à l’étranger (4) ; ces derniers n’étant pris en compte que pour la détermination du taux d’imposition. Les cantons prélèvent un impôt sur la fortune pour les personnes physiques dont l’objet est la fortune nette (5), y compris sur les valeurs mobilières étrangères au titre de la fortune mobilière.

S’agissant du traitement fiscal des sociétés, la Suisse opère une distinction entre les sociétés de capitaux et les sociétés de personnes. La première catégorie concerne les personnes morales dites opaques, dotées de la personnalité juridique. Les sociétés immobilières suisses sont généralement constituées sous la forme de SARL ou SA, soumises à l’impôt sur les bénéfices. Par opposition, les sociétés de personnes n’étant pas dotées de la personnalité juridique, celles-ci ne sont pas considérées comme un sujet fiscal. Dès lors, chaque associé doit ajouter à ses propres éléments imposables sa part du revenu de la société de personnes.

En revanche, le droit interne suisse ne connait pas les sociétés « hybrides » comme les SCI, c’est-à-dire des sociétés fiscalement traitées comme des sociétés de personnes, mais dotées de la personnalité juridique.

Convention fiscale entre la France et la Suisse

Ces divergences de qualification sont susceptibles de déclencher des situations de double imposition ou double non-imposition, en principe éliminées par la convention fiscale applicable. Dans ce contexte, la CDI CH-FR, visant notamment à éviter que la fortune soit doublement taxée, attribue le droit d’imposer les parts d’une SCI à l’Etat de situation du bien immobilier (6), étant précisé que ce sont les qualifications de l’Etat de situation du bien qui sont déterminantes (7).

Ainsi, dans la mesure où la France considère les parts de SCI comme fiscalement transparentes, la Suisse devrait appliquer cette qualification et les exonérer (avec prise en compte de la valeur pour la détermination du taux applicable à l’imposition de la fortune en Suisse uniquement).

Néanmoins, la CDI CH-FR a la particularité de contenir, à l’article 25 B, une clause d’assujettissement effectif (« subject to tax clause ») qui prévoit que l’exonération fiscale au titre de l’impôt sur la fortune n’intervient du côté suisse que si la fortune a déjà été imposée en France.

Analyse de l’arrêt

A notre avis, il est difficile de contester l’analyse des dispositions conventionnelles faite par le TF. On pourrait argumenter le fait que la clause d’assujettissement effectif a pour finalité de pallier l’absence complète d’imposition d’un élément de fortune ou de revenu alors que le droit français dispose de l’IFI. Mais en l’espèce, les conditions d’imposition au titre de l’IFI n’étaient pas remplies. Cela étant, la clause qui s’écarte du modèle OCDE, implique expressément que les actifs soient effectivement taxés en France. Dès lors qu’elle a été négociée, et acceptée entre les deux Etats, il est à notre sens difficile de la remettre en cause.

En revanche, l’analyse du TF portant sur la qualification fiscale en droit interne suisse de la SCI soumise à l’impôt sur le revenu, est selon nous plus contestable.

Rappelons que la qualification fiscale des sociétés étrangères hybrides, pourtant décisive pour déterminer le traitement fiscal applicable, fait l’objet d’une controverse en droit suisse. En effet, il est admis que pour analyser le traitement fiscal d’une entité étrangère, celle-ci doit être assimilée aux sociétés suisses dont elle se rapproche le plus de par sa forme juridique ou sa structure effective (8).

Une lecture combinée des article 10 et 11 LIFD nous amène à considérer qu’une société qui n’a pas de personnalité juridique dans son Etat étranger, devrait de facto être considérée comme n’ayant pas de personnalité juridique en Suisse. Par conséquent, les revenus générés par l’entité devraient être attribués directement aux associés. Cette approche a été notamment confirmée par le TF concernant une partnership à Guernesey (9).

Toutefois, cette application du droit ne nous permet pas pour autant de conclure a contrario qu’une société dotée de la personnalité juridique, doit nécessairement être considérée comme une personne morale aux fins fiscales, si par ailleurs son fonctionnement est similaire à celui d’une société fiscalement transparente dans son Etat étranger.

S’agissant des LLC américaines, qui se rapprochent sur de nombreux points aux SCI françaises, le TF a eu l’occasion, de se pencher sur leur qualification en suivant une approche pragmatique, laquelle consiste à procéder d’une part à une comparaison de la société étrangère avec les entités suisses (sur le plan juridique) et d’autre part à prendre en compte comme élément déterminant le traitement fiscal de l’entité à l’étranger.

Dans son arrêt du 18 septembre 2015 2C_894/2013, le TF considère qu’une LLC de droit américain, bien que dotée de la personnalité juridique, doit toutefois être considérée comme une société de personnes en droit fiscal suisse notamment en raison de ses attributs et de son fonctionnement qui s’en rapproche, mais surtout compte tenu de la transparence fiscale.

Dans l’arrêt qui nous occupe, le TF ne fait que constater que la société en cause a la personnalité juridique, en se référant à deux décisions précédentes dans lesquelles la qualification de personne morale avait été retenue (10). Dans ces décisions citées, la Haute cour avait pris en compte le fait que la société était immatriculée au registre du commerce, et étant dotée de la personnalité juridique, elle devait être assimilée à une personne morale. Nous ne contestons pas le fait qu’une SCI soit dotée de la personnalité juridique. En revanche, il est regrettable que le TF ne se soit pas montré plus nuancé compte tenu des attributs de la SCI en droit français et de son traitement fiscal qui aurait pu être pris en compte dans l’analyse. En effet, si une SCI a la personnalité juridique, son fonctionnement se rapproche étroitement des sociétés de personnes.

Rappelons notamment qu’outre le traitement fiscal – critère qui a pu être retenu comme décisif pour la qualification en droit suisse – la responsabilité des associés est solidaire et indéfinie, et les parts ne sont transmissibles qu’à l’unanimité (sauf disposition contraire prévue par les statuts).

Notre avis

La solution retenue par le TF est source d’insécurité, dans la mesure où elle soulève de nouvelles questions quant au traitement fiscal applicable en cas de cession des parts de la SCI, ou de liquidation de la SCI.  En outre, cette approche est à contre-courant au regard des recommandations de l’OCDE (11) qui visent notamment à lutter contre les structures hybrides inversées. Elle aboutit en pratique à une situation insolite où, selon qu’il est effectivement imposé ou non en droit interne étranger, un même actif sera qualifié de bien immobilier au titre de l’impôt sur le revenu (donc exonéré), et qualifié de valeur mobilière au titre de l’impôt sur la fortune (donc imposable).

A notre sens, la solution retenue par le TF constitue une violation effective du principe de territorialité en droit interne suisse, en ce qu’elle revient à imposer un bien immobilier étranger.

Les cantons ont aujourd’hui une approche différente s’agissant de la qualification fiscale des SCI. Le canton de Genève, selon sa pratique, admet de qualifier les parts de SCI françaises soumise à l’impôt sur le revenu de biens immobiliers, non imposables au titre de la fortune mobilière. Il serait donc intéressant de savoir si l’administration fiscale genevoise va désormais maintenir sa pratique ou suivre celle du canton de Vaud, à la lumière de cet arrêt.

Cette décision fragilise un peu plus la situation des résidents suisses propriétaires de biens immobiliers en France au travers de SCI. Rappelons qu’en matière de droits de succession, la CDI CH-FR ayant été dénoncée, le risque de double imposition est important s’agissant des biens français, et notamment des parts de SCI, en particulier lorsque le défunt était domicilié dans un canton qui taxe la succession.

Avant tout investissement immobilier en France par un résident fiscal suisse, il est vivement recommandé de s’interroger sur les modalités de détention et d’anticiper les conséquences fiscales.

Nous analysons actuellement avec nos clients résidents suisses qui détiennent un ou plusieurs biens immobiliers français au travers d’une SCI française quelles sont les meilleures options de restructuration, si nécessaire.

(1)2C_365/2021

(2)Article 24 para. 2 al.2 CDI FR-CH et article 6 para. 2 al. 2 CDI FR-CH

(3) FI. 2020.0109 – Tribunal cantonal vaudois – arrêt du 01.04.2021

(4) Art. 3 al. 1 LIFD, art. 3 al. 1 LHID et art. 6 al. 1 LIFD

(5) Art. 13 al. 1 LHID

(6) Art. 24 para. 2 al.2 CDI FR-CH

(7) Art. 6 para. 2 al. 2 CDI FR-CH

(8) Art. 49 al. 3 LIFD et art. 84 al. 3 LI-VD

(9) Arrêt 2C_664/2013 du 28 avril 2014

(10) Arrêt 2C_729/2019 du 7 juillet 2020 et 4A_454/2016 du 16 décembre 2016

(11) Action 2 BEPS – reserve hybrid rules

6 mars 2023 Auteurs : Antoine Pioger, Sarah Meriguet,

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